Sans familles

Devant le modeste lit de sa petite chambre au foyer, Vieux Cheval a soudain une envie de se confier, de se raconter, d'expliquer ce qui l'a mené là. Solitaire, il raconte comment, envoyé depuis l'autre côté de la Méditerranée par sa mère pour travailler, il finit par rester en France. Ses souvenirs, ponctués de présences féminines (une mère, une femme, une fille) égrènent les étapes d'une vie difficile. Pourtant, au bout, ne restent que solitude et misère. S'emparant du sujet, la Cie l'Indépendante réussit un petit spectacle discret mais diablement efficace, dépeignant sans fard le parcours, ingrat, d'oubliés. Puisant dans les mots des résidents des foyers rencontrés puis confiant à Gérard Mordillat, François Bégaudeau ou Gérald Dumont le soin de compléter le puzzle, l'équipe parvient à un juste équilibre entre la force du théâtre et l'authenticité de ce qu'elle dépeint.

Sur scène, Fidel Parra fait merveille en Vieux Cheval fatigué et amusé à la fois, usant de légèreté comme dernier moyen de combattre une solitude inexorable et des souvenirs pas tous drôles. Face à lui, Sarah Hamoud campe toutes les femmes de cette vie subtilement mises en scène. Le miel et le poison donne une profondeur et une existence marquantes à une réalité (celle des immigrés venus travailler en France et qui ne sont pas intégrés ici et plus vraiment acceptés chez eux), un théâtre qui, tout fort et engagé qu'il soit (donner la parole aux résidents des foyers et en faire un spectacle est sans doute une forme d'engagement) n'oublie pas sa dimension artistique. Un parcours humain moins rare qu'on ne veut le croire, dans le sillage d'une promesse de miel. Une promesse qui se révèlera néfaste en laissant Vieux Cheval et bien d'autres au bord de la route. Un mélange subtil qui prend joliment forme dans le sillage de comédiens très investis et au fil de la mise en scène de Catherine Gilleron, pertinente et éclairante qui sait ne jamais se montrer voyeuriste.