Les deux garçons de Pierre Delye, 16 et 13 ans, ont grandi dans les histoires de leur papa, qu'il leur racontait déjà « intra-utero ». D'ailleurs, il s'éclipse de notre rendez-vous pour aller en récupérer un à la sortie de l'école. Une entrevue pour discuter de ses deux derniers ouvrages parus aux éditions Didier leptitbonhommedesboiscouvvolume.jpgJeunesse, qui le suivent depuis 2002 : Michèle Moreau, la Directrice, le rencontre à l'occasion d'un spectacle de contes et veut faire un livre. Deux fortes personnalités qui se chamaillent gentiment, encore maintenant. Le premier ouvrage sort en 2003, Le p'tit bonhomme des Bois, succès de librairie, chef d'oeuvre aujourd'hui ré-édité pour la troisième fois, en format géant, « mon filleul d'un an disparaissait derrière, complètement dans l'histoire ! Le popotin de l'ours prend là toute sa dimension », rigole Pierre Delye, très admiratif du travail de l'illustratrice, Martine Bourre, « elle ne veut pas représenter d'humain et a trouvé cette toute petite statuette Inuit ». Il tourne les pages, montre les sublimes illustrations, les petits hiéroglyphes : « 1 + 1 = 3 avec l'illustrateur, on ouvre encore plus l'imaginaire ! » Le succès de librairie, Pierre Delye s'en fout. Ce qui l'intéresse, « c'est quand les gamins viennent nous voir vachement contents » après un spectacle musicalo-conté avec le groupe de rock Les Biskotos, ou à une séance de dédicace, « le gamin dont le livre a morflé » à force de relectures, ou quand son garagiste lui explique qu'il doit lire à son fils jusqu'au numéro ISBN ! « Quand on me dit qu'on a acheté mon livre, je n'en ai rien à faire, quand on me dit qu'on l'a lu, là, ça me plaît ! » Les éditions Didier jeunesse et notre conteur, une collaboration gagnante aussi, mais toujours à renouveler, « ce n'est pas toujours bien d'être dans le confort zoom pierre delye.jpg: ni eux ni moi n'avons envie de ronronner. P'tit bonhomme, certaines maisons m'en auraient demandé des douzaines, eux non. Ils publient une trentaine d'ouvrages par an, c'est peu », chaque livre aura du temps pour se faire une place sur les rayonnages. « Ils savent que certains ne marcheront pas, mais ils les publient quand même parce qu'ils sont importants ». Faire le livre qui marche, ça met donc un peu la pression. Et quand même derrière tout cela actionnaires et comptables, « qui savent dire pourquoi ça va marcher... mais après ! », ironise l'auteur.


« L'important, c'est d'avoir une bonne histoire ! »

Les ingrédients : quand Pierre propose une histoire à la publication, c'est parce qu'elle lui plaît, delye.jpgsi la maison d'édition la retient, parmi tant d'autres, c'est qu'il y a quelque chose, et si l'illustrateur se sent prêt à passer trois mois à travailler dessus, c'est bien là encore qu'il sent qu'il ne va pas s'ennuyer, « après, éventuellement, elle rencontrera son public, conséquence lointaine, dont l'on doit se souvenir, et l'oublier ! » Un an de travail sur la dernière histoire publiée, Les Musiciens de la Nouvelle Brême, encore un petit bijou, titre connu, mais bien sûr complètement re-visité par le facétieux Pierre Delye, humour décapant et message sérieux entremêlés. Une aventure commencée comme un défi : le conteur apprécie les blog des illustrateurs (et il a bien raison), qui publient des choses « vraiment géniales » dexter.jpg(contrairement à tous ceux parlant pour ne rien dire). Sur celui de Cécile Hudrisier, avec qui il a travaillé à quatre reprises, il tombe sur « un dessin que les dessinateurs dessinent quand ils ne dessinent pas ! Ils gribouillent tout le temps, ce sont de grands malades ! En bas à droite, un petit mickey, discret : un caribou qui danse. Je demande à Cécile si elle veut que je lui raconte l'histoire de ce personnage, elle me répond oui »... et là, il a fallu improviser ! Il se souvient vaguement de l'histoire des musiciens de Brême, qui lui laisse un goût bizarre, il va la ré-inventer, avec le Caribou, « dont la façon de danser rappelle un crooner, ce sera Francky », la castor batteur, le raton laveur saxophoniste, le grizzly contrebassiste, « une évidence ! », tout cela dans un décor de Canada, un quatuor de jazz qui max.jpgdéménage. Cécile y ajoute ses sublimes images découpées, humoristiques avec aussi des petites choses cachées. « Avec Cécile, c'est la déconne. Il y a une fantaisie. J'ai besoin d'apprécier le travail de l'illustrateur, quand je lui envoie mon texte, je ne sais pas ce qu'il va se passer ! » Auteur, illustrateur, éditeur oeuvrent main dans la main, « mais sans se tenir ». Justement, écoutons l'éditrice, Michèle Moreau : « un conte de Grimm avec la verve de Pierre, des jeux de mots, des citations musicales, un régal à lire ! Des livres qui se lisent à haute voix, pour donner vie aux personnages, humour à transmettre. » Justement les parents se régaleront des paroles de chansons de Sinatra, ou de jeux de mots croustillants - Max le Castor trouve que « le bouleau, c'est usant » -, un livre chaque fois redécouvert par les enfants grandissants, trouvant des doubles sens, dans le texte et les dessins, lus et relus. « L'essentiel pour moi, c'est le plaisir. Je ne suis pas un écrivain pour les enfants, je suis un écrivain tout court. Je m'adresse aussi aux adultes qui vont lire, la richesse de la langue, les niveaux de vocabulaire sont importants, plaisir immédiat, et plaisir plus profond, plus lent. En veillant à ce que les plus petits ne se sentent pas exclus ». Et attention, ses histoires ne sont pas que « marrade », messages transmis aux plus jeunes, de tolérance, sur la différence, la difficulté à trouver sa place, l'importance d'aller au bout de ses rêves, de ne pas avoir peur de mener la vie que l'on souhaite. « Derrière le plaisir premier des belles images et de la langue qui chante, nous sommes aussi responsables lorsque l'on s'adresse à des enfants, des jeunes, qui sont en construction. » Pierre Delye ne vit pas de son travail d'auteur ; heureusement, il est, depuis toujours, conteur, spectacles aux quatre coins de France, activités complètement indissociables. « C'est ma passion, raconter desdelye2.jpg histoires, à l'oral comme à l'écrit. Raconter une histoire, et ses illustrations, sur scène, c'est la réinventer. Trouver une façon de conter : j'imagine des odeurs, des bruits, des mots qui sonnent. Il faut du temps pour pouvoir conter une histoire, du temps à prendre et à perdre. Je dis à mes enfants : un conteur, même quand il ne fait rien, il bosse ! »