Sortir : On va sans doute beaucoup vous parler de ce sujet polémique, la fin de vie...
Stéphane Brizé :
C'est quoi le sujet du film pour vous ?... Je me permets de poser la question car pour moi c'est la relation mère/fils et en fait, les gens parlent de tout autre chose. Le sujet, c'est cette relation douloureuse entre une mère et son fils, que l'on observe à un moment où cette femme malade décide d'abréger sa vie par suicide assisté. Comme dans un polar où l'on attend le moment où la bombe va exploser, ici avant que la mère ne décède, la question est de savoir si ces deux personnes vont rater jusqu'au bout cette relation, LA relation qui nous structure tous, dans le rapport à l'autre, beaucoup plus que celle au père... et dans ce cas en l'occurence, elle a visiblement été ratée depuis le début.

Sortir : Ça se complique d'autant plus que mère et fils se retrouvent à cohabiter ensemble...
S. Brizé :
C'est un peu comme un huis-clos cette maison, une forme de prison où les deux ont du mal à partager. Alain lui (Vincent Lindon) a fait une connerie au départ et sort de prison justement... Sa mère (Hélène Vincent), cette maison, c'est son univers, elle veut absolument tout y maîtriser jusqu'à la maniaquerie la plus extrême. Elle accueille son fils, mais c'est une cohabitation forcée.

Sortir : Une relation qui du coup se traduit par de nombreux gênes, silences et autres non-dits.
S. Brizé :
Les silences, les gestes, j'ai envie de dire c'est la vie... elle n'est pas faite que de mots. Avec Florence (Vignon, sa co-scénariste), on s'attache beaucoup à raconter les histoires en dehors de l'explicatif et des mots : c'est ma façon à moi de voir le monde et de raconter les histoires qui me sont chères. D'ailleurs, je constate que dans mes films, les personnages sont tous traversés par la douleur du silence, une parole affective jamais prononcée : dans Mademoiselle Chambon, c'est moins violent mais rien ne sort également. Là, on se retrouve dans une relation très abimée.

Sortir : Je relance, mais comment on arrive au sujet "accompagnement en fin de vie" ?
S. Brizé :
Le suicide assisté, c'est très particulier ; on avait choisi d'intégrer cet événement bien avant qu'il ne devienne un sujet de réflexion aussi important... on ne pouvait pas deviner il y a 3 ans que le Président lui-même s'y attèlerait aujourd'hui. Mais le film n'est pas militant, il montre juste frontalement le choix d'une femme à un moment particulier de sa vie et donc le protocole qui s'ensuit. Certains spectateurs d'ailleurs sont davantage bouleversés par cela que par la relation mère/fils... C'est la première fois que l'on voit le déroulement de ce protole sans fard : ce que j'ai voulu montrer, c'est la réalité, c'est quelque chose de très vérifié. Tout est parti d'un documentaire que j'avais vu il y a 7 ans, Le choix de Jean, lui-aussi atteint d'une maladie et qui suit ce protocole de suicide assisté. En Suisse, ça existe depuis 20-25 ans, mais en France ça reste un sujet tabou.

Sortir : Et douloureux, à l'image de votre film...
S. Brizé :
Il faut faire attention : si je m'en tiens aux socles de l'histoire, extrêmement douloureux, ça l'est oui... mais c'est comme si je décrivais l'un d'entre vous : je peux vous décrire physiquement, mais je ne sais rien de vous, de la chaire de la personne. C'est pareil pour un film : si on s'en tient aux socles, on rate l'essentiel, parce qu'au final, tout cela n'est qu'au service de l'émotion. Mon travail, c'est créer des émotions pour les spectateurs, je veux qu'on pleure en voyant ce film ! Après, il y a une proposition et plein de choses à travers un  film, mais l'émotion est seule préalable à la réflexion : c'est la définition d'un art populaire.

Sortir : Dans ces conditions, comment se passe la relation avec les acteurs ?
S. Brizé :
Je ne peux travailler qu'avec des gens que j'aime : au moment de la rencontre, quelque chose se passe, on se reconnaît, comme dans une histoire d'amour, et on va faire le chemin ensemble. Derrière, je me refuse à donner la musique aux acteurs : moi, je donne la direction, mais je ne sais pas comment on va y aller... la réalité organique du travail d'acteur va toujours être plus juste que ce que moi j'ai essayé d'inventer. Sur le plateau, je réalise un documentaire sur la vie de ces gens, c'est "je veux que vous soyez"... Il s'est passé quelque chose donc on a la prise, c'est très fragile.

Sortir : On sent une passion pure chez vous...
S. Brizé :
Si vous me demandez de choisir entre un billet d'avion pour voir les 7 merveilles du monde ou une journée à essayer de capter un instant de vérité sur le plateau, rien à foutre du billet d'avion ! Les voyages intérieurs sur les plateaux cinés, c'est ça les moments les plus exceptionnels de ma vie... des moments rares où je reste figé comme si j'avais assisté à la plus belle des choses.